
– Dans l’œil, à l’œil, par l’œil.
Les employés s’affairent avec douceur. A moi les couleurs après la pluie. A moi l’amande des robes des employées qui flottent entre la couleur d’araignée des sets de table et le blanc presque écru des transats. A moi la terrasse en faux marbre mouillée et les acacias sévères. À moi l’enfant qui dort au fond des bras de ses parents, à moi l’homme qui chariote des coussins écarlates. A moi le magnolia aux feuilles tendres. A moi le reste. Les gestes invisibles, les enfants plus loin qui sautent dans la piscine, les pigeons de guerre lasse contre des miettes inexistantes, les clients qui payent juste avant de partir, leurs lunettes de soleil et les robes blanches, le regard quiet, la démarche molle, le beau platane qui luit au-dessus de sa cime d’autant plus que le ciel bleuit, les draps qu’on enfourne avec ce bruit en acrylique dans les sacs oranges et qui partiront au lavage par camion, la serveuse jeune, avec son carafon propre dans la main et ses petites chaussures noires et son petit pas précis qui s’avance vers les clients. A moi vous dis-je. Et les valises qui roulent dans la cour et qui résonnent. Et les derniers regards qu’on se jette par habitude, cette envie toujours de voir une dernière fois un endroit avant de le quitter, et plus tard, sur les tapis roulants de Marignane, et qu’après les contrôles d’usage on se rapprochera confiant des réacteurs endormis, et qu’on s’envolera au-dessus de la mer comme un ciel inversé. Oui, à moi vos gentillesses, vos délicatesses que j’aime, vos tendresses sociales, vos voix basses et polies, vos mains gauches qui tiennent le calepin pour la commande puisque vous êtes droitiers, et même quand vous toussez, la main sur le nez et la bouche, le blanc cliché des pots de fleurs et leurs géraniums, vos bambins et vos démarches de circonstance, puisque c’est l’été, que les klaxons au-delà de l’enceinte sont tamisés.
« – C’était la chambre 403, c’est ça ?
– Oui. J’ai commandé un Fish ‘n Chips pour le petit et un café pour moi. Merci ! » Au téléphone. Les injonctions au gosse malgré le combiné et le dialogue. Le gosse d’ailleurs. Un petit oisillon. Duvet tendre et tout sur le haut de la tête. Il brutalise un peu ses lunettes en plastique. C’est une symphonie de choses qui s’entrechoquent autour de lui, de petites méconnaissances sociales naturelles. Maman est calme et répare à mesure en lui mouchant le nez, recommençant, patiente, combattant l’entropie générale du bambin et ses petites oreilles qui s’étendent dans l’horizontal de la tendre jeunesse.
Le soleil descend sur les acacias, feuille par feuille, en cascade, et les émeraudes se suivent sans bruit dans le maillage clair.
« Ça s’appelle un po-ta-ger. Un po-ta-ger. » Le premier enfant n’est pas le seul sur la terrasse humide. Je me régale des odeurs. C’est midi passé, presque treize heures. Le ventre des clients s’impatiente sûrement plus que l’esprit repos des âmes attablées.
« Oui je sais, mon bébé, tu as faim, tu as faim. » Les petites mains contre le métal grillagé de la table. Le petit tambour de l’affamé qui babille et qui crie légèrement. La mère souvent au téléphone. Le mari absent. La couche qu’il faut changer quand même. On abandonne la bonne copine, là-bas au bout du combiné, le temps de quelques parfums forts. Le soleil a atteint les arcades blanches de la Réception, alors que la mère consciencieuse à laissé son sac à main sur la chaise. Un petit coup total de confiance générale. Aux clients alentour. Aux serveuses qui virevoltent. Aux pigeons qui reviennent et qui n’y toucheront pas.