Estampe du Cerisier

Photo d'un Prunus (cerisier) dans ses toutes premières fleurs, Marseille.

Bien plus que du bois, bien plus que des fleurs, bien plus que ce noir encore plus noir de pluie et que rien n’a séché encore ; bien plus que l’argent blanc de ses pétales de soie : le cerisier, c’est aussi les mains japonaises qui l’ont dessiné jadis, c’est le papier si fin des estampes grises, c’est la légèreté instantanée de leurs petits poèmes.

D’abord, c’est le principe. Je marche et je m’imprègne. La pluie dessine de minuscules paillettes sur l’écran à mesure que je note. 

Quelques ratés. Les mains sont froides ce matin, et le soleil… Quelques tâches,quelques obliques dorées au travers des bâtisses. Pas grand chose, et le blanc du ciel nivelle toutes les ocres vers la couleur unique de la pluie. 

Je poursuis quand même, un peu perdu, m’écartant, maussade, au passage obstruant des voitures, dans les petits chemins (celui de l’Oriol), grimpant des escaliers (ceux de la Montée Montplaisir) pour échapper à la mer qui nivelle les couleurs elle aussi. Mer ce matin que je ne veux apercevoir que de très haut. C’est la règle sous la pluie. Mauvais temps ou pas, c’est encore moi qui décide. Mains froides ou non, craintif un peu de faire tomber mon téléphone, je me laisse aller aux reliefs des montées et des descentes, choisissant encore. 

Elle est mignonne, la rue Émile Duployé, fine et bombée de vieux murs, alors qu’encore une fois j’entends que ça tape et répare un peu partout. Le bruit typique d’une scie à métaux fait frissonner l’air, et plus haut, j’entends carrément le grelottement d’une tronçonneuse. Les rues et les impasses sont vides, à croire que tout ici attend la venue du maître d’été. Cette fois-ci, à l’endroit où je suis, le mur tâché de pluie laisse entrevoir ce qu’il serait, toute beauté dehors ; il ferait partie de ces tâches colorées qui définissent la ville – Marseille qui sait si bien embellir les artifices de ses édifices en les mariant si justement avec le temps et le climat – 

Au vrai c’est difficile d’écrire. Les mains me refusent beaucoup de choses. Les doigts, trop blancs, trop roses, ont la lenteur des vers de terre qui frémissent dans le vent hivernal, craintifs et perdus dans l’air libre, sans yeux, sans conscience, et il faut être tenace pour les faire travailler. Et puis le froid me fait marcher, chercher même un tout petit bout de soleil, alors que le vent qui me vient de dernière me gèle gambettes et les fesses. 

Je reconnais tout pourtant, pour être passé par là si souvent. Les mimosas lourds et fleuris me rappellent que je n’ai rien à craindre, jamais. Qu’avec eux je sais que la nature n’attend qu’un signal invisible pour faire éclater sa richesse. Je la sens prête à fendre l’air glacé de ses bourgeons rembourrés de velours, à bondir comme le faon du printemps, alors que la neige mord la banlieue de Paris en cet instant même, et que le froid n’en a pas encore fini avec la France. 

Je vois la mer, tout au fond, bleue, sauvage, sous un ciel encore plus fier qu’elle, plus gorgé d’eau qu’elle peut-être, découpée par les fleurs d’un cerisier d’argent au premier plan.

Le noir de la branche et le blanc de la fleur, si fins, si délicats, font paraître la mer comme un monstre et le ciel comme une immense calamité qui dort encore. Bien plus que du bois, bien plus que des fleurs, bien plus que ce noir encore plus noir de pluie et que rien n’a séché encore ; bien plus que l’argent blanc de ses pétales de soie : le cerisier, c’est aussi les mains japonaises qui l’ont dessiné jadis, c’est le papier si fin des estampes grises, c’est la légèreté instantanée de leurs petits poèmes ; alors, sur le vrai bleu de l’orage, férocement assis sur le lion de la mer endormie, le contraste est encore plus saisissant.

Et tout d’un coup le temps qui passait jusqu’à présent, le temps d’hiver et les mains froides, tout se fige et l’impression est la vraie reine pour un long moment. Et mes doigts sont si fragiles qu’ils semblent eux aussi faire partie de l’estampe. Mais je ne veux pas fuir comme le peintre condamné par l’Empereur. J’attends désespérément au contraire que le soleil reprenne sa place. 

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