Je les ai entendues jusqu’à ce qu’elles me dépassent. « … Chacun sa vie hein ? Il a raison. Chacun sa life. » Sa voisine de gauche a dû baisser un peu l’arrête de son nez, entrouvrir un peu la bouche peut-être en guise de réponse. Elles s’immobilisent devant une boutique un peu plus loin, l’œil savant qui caresse les couleurs et les plis des longues robes vertes et bleues malgré le cou sans tête de plastique et les bras aux doigts silencieux et pâles du mannequin comme le ciel d’aujourd’hui. La troisième, plus jeune, un instant concentrée sur sa glace, finit par les suivre, happée par le verre tout propre de la vitrine dans laquelle se reflète d’ici un panneau que je ne peux pas lire.
C’est Lyon. Elles viennent de rentrer dans un nouveau départ. C’est une nouvelle ville à aimer. Je voudrais autant la goûter comme on mangerait un livre que me laisser piéger par sa grande vitre invisible. Découvrir. Aller marcher comme j’aime. Écouter les gens, les regarder vivre joliment, le couple devant moi chez l’Italien, l’Italien lui-même qui m’a gentiment pris pour quelqu’un de sa langue. Sa collègue que j’ai cru reconnaître dans la coupure de journal collée sur la vitre de la porte d’entrée qui doit être sa femme et qui l’appelle alors que lui prend l’air sur le trottoir gris, la musique du restaurant quand le couple s’en va après avoir payé ; la serveuse tout en noir, jusqu’à son téléphone qui dépasse de sa poche. Le son inégal des talons sur le bitume devant moi. Un piano discret qui s’échappe d’une fenêtre que je n’arrive pas à reconnaître sur le trottoir d’en face. La RUE BUGEAUD là, devant, qui fait partie de cette perspective que j’avais déjà à moitié remarquée hier, de l’église Saint-Pothin jusqu’au Lycée Ampère. Je paye et retourne à la ville.
C’est parti.
Le Blog des Croquis 