Lisbonne. Je suis debout à l’entrée du BECO dos FRÓIS. Je regarde pendant un long moment la lumière épaissir et froisser le feuillage des ormeaux en contrebas.
Je voudrais pouvoir la suivre dans son trajet, du ciel jusqu’à la mer à l’Ouest. Je voudrais pouvoir l’écouter glisser sur les façades au milieu de la musique moderne qui s’élève, pouvoir l’observer transformer la ville, changer l’expression des passants et vivifier leurs chairs, rebondir sur le métal des rails qui dessinent leurs cicatrices sombres sur les pavés des rues. Je voudrais la regarder comme on regarde les gens, avoir la certitude qu’elle se parfume de tout ce qu’elle touche, que c’était elle, tout à l’heure, qui m’apportait à grands renforts de verts éclatants la sève des arbres, que c’est elle encore, maintenant, qui m’offre le parfum glissant des carreaux de faïence de la maison d’en face, elle qui porte les voix qui déséquilibrent mes oreilles, entre les passants nombreux à partager ma langue et ceux dont je ne comprends rien, elle qui dessine des taches sur les murs humides, elle qui rend le calcaire des trottoirs parfois glissant, elle qui s’embrase, enfin, sur certaines façades. Elle.
Parce que c’est pour elle qu’on se retrouve ici, bien plus que pour le fleuve peut-être. Pour elle qu’on a peint les demeures de couleurs vives, parce que c’est elle encore qui décide la couleur du ciel qui répond merveilleusement à celle des maisons. Pour elle le rose insolent de ce tuk-tuk qui monte péniblement la pente, pour elle les touristes qui rient au fond des sièges, heureux d’être là, d’être ballotés sur la dentition solide de la route qui ne leur épargne vraiment rien.
C’est pour elle que mes doigts se dépêchent ; c’est en son nom encore que j’assiste comme tout le monde au mystère de l’ombre qui progresse, au soir humide qui finira par monter jusqu’à la cime des arbres.