Première esquisse lisboète

Lisbonne. Premier crayon. CALÇADA DE SANTO ANDRÉ. Je me suis abrité sous le petit auvent du Café Silva pour vivre la pluie des yeux sans en craindre le reste. Fine d’abord, je l’entends et je la vois qui monte en force, jusqu’à prétendre faire concurrence au mouvement vertical du linge étendu aux fenêtres que personne ne prendra la peine de retirer sans doute. Ces linges depuis longtemps apprivoisés par les enduits colorés des façades, langues pendues comme du bois peint aux balcons, muettes ou discrètes dans leur verbe pourvu que le vent se taise, bavardes qu’il descende sur terre et passe sur la ville.

Il y a une rue devant moi dont je n’ai pas réussi à trouver écrit le nom quelque part, mais peu importe : ne suis-je pas heureux du regard à la suivre épouser la colline bombée et grise, heureux des gens qui montent et qui descendent avec le pas qui crisse sur le granite des pavés, heureux à voir le tram comme un coup de crayon de couleur rouge qui traverse la feuille presque en silence et que j’oublie déjà, heureux de ce gars au téléphone dont je comprends moins la langue que celle du linge et qui vient vers moi, rejoignant une équipe d’ouvriers qui attendent d’être rassurés sur la marche à suivre ? Je les regarde réfléchir, lever l’index rose vers des câbles noirs qui courent sur une façade en ruine dont les balcons humides laissent pousser une barbe verte et virulente de fougères. Alors je lève les yeux moi aussi sur les fenêtres aveugles, sur les tags qui ne me disent rien, sur le mur dont la couleur qui rappelle celle du sable des châteaux des enfants tout près de la mer ne doit réconforter personne, et sur les nuages blancs et gris, bombés sur un ciel plus bleu et plus lisse que le bleu des carreaux des façades qu’on trouve un peu partout dans cette ville sublime.

Je recommence à écrire alors que le soleil de faïence se fait moins tranchant et moins lisse sur les carreaux de la façade qui ouvre la CALÇADA DA GRAÇA, et que les ombres hésitent elles aussi, moins franches qu’à midi, à tirer leurs lignes droites sur les murs des maisons. Il est 18 heures 30 maintenant ; les gens se souviennent moins des morceaux de ville parcourus que le bas de leur corps fatigué ; je les vois, le soir descend déjà sur eux et les imprègne, imprègne leur démarche, leur pas, leurs pieds un peu gonflés dans leurs chaussures qui hésitent à monter ou descendre. Le ciel reste seul à ne pas vouloir encore se mettre au goût du soir, bleu toujours, bleu fidèle, d’un bleu qui rappelle que la mer n’est pas loin à l’embouchure du Tage, et si je disais qu’il s’assombrit je me tromperais peut-être encore pour quelques minutes. Alors j’admire tant que je peux l’équilibre parfait entre la sobriété des pierres qui encadrent les fenêtres et les portes et les motifs des céramiques peintes tandis que je redescends doucement la pente pour ne pas glisser sur le calcaire du trottoir.

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