« Salut la famille ! Ça va ? » C’est un samedi matin qui s’ébruite doucement, comme j’ai si souvent eu l’habitude d’en voir ici, de sourires sous des lunettes opaques, de conversations heureuses, de jus d’orange qui brillent sans éclat comme des soleils sur les tables, de cafés, d’eaux pétillantes dans lesquelles se figent et brûlent des tranches de citron, de postures sans inquiétude face à l’horizon qu’on a tous en commun comme cette phrase que j’attrape à la volée, entre quelques moteurs qui redémarrent : « Ah, ça fait du bien d’être au soleil, j’te jure… » Tout est dit. On est tous là pour cela, et le reste s’efface presque comme un prétexte qui n’a rien de secret pour personne. Il continue : « En fait, plus tu fais un café court, moins tu as de caféine… » J’oublie la suite, jusqu’à ce qu’il conclue pour sa voisine d’en face : « Et je crois que c’est pour cela que je n’aime pas les cafés longs. » Qu’est-ce qu’il fait bon. Que c’est bon de se retrouver ici, au milieu de cette quiétude, même à surprendre le regard plein d’effort de la serveuse qui aide à transporter des cartons tout juste livrés, plissé, la démarche fragile, les mains et les muscles des bras concentrés, faisant attention aux marches derrière moi qui mènent à l’intérieur de son restaurant jusqu’à ce que le livreur regagne son camion et que la mer se redessine au loin.
Je suis sensible au bruit des chaises, à la préparation des tables pour l’heure du déjeuner qui s’approche, aux méthodes que l’on s’applique pour protéger son visage du soleil, au virage que marque devant moi la Corniche quand je regarde vers l’Est, aux pare-brises et aux toits des voitures qui resplendissent jusqu’à les perdre de vue. Je suis sensible à chacune des mimiques, aux mains largement ouvertes sur les verres, aux lèvres sur les pailles qui dessinent des mâts sans voile dans l’air bleu de midi, aux regards qui fixent la carte du menu suspendue au mur jusqu’à ce qu’on décide de se lever pour être sûr des lettres, à la conversation professionnelle des serveuses qui hésitent à rajouter une table et qui comptent les réservations dans leur tête, au sourire que me rend une cliente qui leur dit : « On est venues de loin juste pour ça… » sans que soit nécessaire aucune autre explication, à la maman et son fils qui boude un peu et qui hésite à s’assoir devant une table vide jusqu’à ce qu’elle lui propose gentiment en retirant sa veste d’aller carrément voir ce qu’on propose à l’intérieur, et qu’ils reviennent, qu’ils s’essayent et qu’on s’occupe d’eux, qu’on leur sourie, qu’on installe de nouvelles tables pour d’autres, que les manteaux des nouveaux arrivés soient désormais brûlants et complètement inutiles. Il est midi dix, on est à Marseille et c’est la fin du mois de mars.