J’aimerais tant toujours avoir le mot fluide. Trouver cet équilibre, ce fil, entre ce que je me plais à écrire et ce que m’offre le monde. Quelque que soit l’endroit, quels que soient les êtres autour de moi ou la force de la lumière ce jour-là, je devrais me jurer d’aimer, me jurer d’écrire, emporté par ce qui se fait, ce qui se vit, par les passants habillés de sombre derrière la grande vitre propre, les Allemandes assises devant leur tasse, devant moi, et cet accent comme un cadeau dont je n’arrive pas toujours à défaire la ficelle, mais dont j’ai toujours plaisir à admirer les courbes d’or et le tissu un peu rude.
Je joue à superposer les conversations, à séparer les mots de leur signification potentielle, à mélanger les voix pour en faire quelque chose d’universel et de plaisant, comme ces radios qui me ravissent toujours au fond de ces cours pendant un après-midi où il vaudrait mieux faire la sieste et dont je ne cherche jamais à comprendre ce qui se dit derrière la distance et les grésillements qui font frissonner un air dont l’immobilité nous ferait tous souffrir, au coeur de ces moments de plein été où le simple fait de se tenir dans l’être nous coupe le souffle.
Dehors il fait un ciel sans heures, et je perdrais mon temps à essayer de démêler les nuages. Alors je viens me perdre un moment dans les gestes des clients assis à la terrasse : je le vois qui montre un instant la carte qui tient en équilibre sur la table noire à la serveuse ; je la regarde, le nez sous des lunettes fines, l’écouter, le conseiller peut-être, remuer les lèvres peut-être en français, je la regarde disparaître à ma vue, transmettre ces infos à son collègue derrière le bar, recommencer ce même travail pour d’autres tables, pendant que les Allemandes sont encore assez jeunes pour courber le dos plus qu’il ne faudrait à mon avis, le téléphone devant soi le temps de faire écouter une note vocale ou le son d’une vidéo à ses copines qui les fait rire toutes. Je vois aussi quand le geste ralentit, quand celle-ci décide de réfléchir au fond de soi, le regard figé sur ses mains blondes posées sur son pantalon bleu, l’œil comme une mer sans mouvement, ou le visage penché vers la gauche quand elle décide d’écouter sa voisine, et puis les nouveaux arrivés, ce couple avec sa fille qui les écoute lui traduire la carte peut-être et que je ne comprends pas non plus mais qui vient rajouter des fils à cette grosse pelote que je refuse toujours de démêler.
Les plats arrivent malgré l’après-midi, et la serveuse annonce le nom des spécialités qu’elle approche de la table en inversant les accents toniques de leur pays d’origine. Mais peu importe. Ils déjeunent sous un fond musical à vous confisquer la pensée, trop fort au goût de tout le monde sans doute, mais l’air heureux d’être dans cette capitale qui n’est pas la leur.