Croquis au Chaptal

Tasse. Thé. Petit-déjeuner au Chaptal. Une femme au comptoir en discussion gilets jaunes avec la tenancière passée de l’autre côté du bois ou du faux bois sombre et de l’inox véritable pour plus de sympathie et de confort de coude. Et comme elle ne lui offre qu’une partie de son profil, la bouche et les yeux tournés vers elle, c’est le gauche, le coude gauche qui s’appuie. L’autre n’est qu’une partie de bras qui lui sert à des gestes qui sont les virgules et les points visibles de sa voix.

Breakfast au Chaptal, à Paris 9.

La cliente connue sort. Une femme en noir rentre. Elles’assied en face d’une autre femme, là depuis un moment, commande la formule petit-déjeuner à 5.50 comme moi. Le café s’introduit dans le vide porcelain à grand bruit de bulles. « Bah je lui ai dit qu’il y avait un parking !…Quoi, un café samedi ? – Non, deux cafés samedi. Ah ! » Ça c’est le jeune homme en chemise à carreaux et grosses chaussures confort. Barbu. Beau. L’habitué. L’ardoise est mise à jour. Puis il s’en va. « A toute allure ! » La blague habituelle. Il part bosser pas loin. 10 heures 11. Un gars revient, connu sous sa casquette rouge, rapporte sa tasse et reprend un café. « Je ne sais pas, moi, lui dit la tenancière, je vais éplucher les patates !… » Les clients sortent sous des Au-revoir, d’autres rentrent sous des Bonjours polis, etc., la fille est sympa, même quand elle constate pour la vitre sale et qu’elle finit par dire : « Mais qui a pu bien mettre ses mains aussi haut ? Et des mains sales en plus ? » 

Le temps passe un peu. Deux omelettes jambon-fromage. La collègue part à la recherche de tomates. C’est un homme maintenant qui sert la clientèle. Ils ont tous des chemises noires. Carton-cageot. Clientèle anglaise ou américaine assise. Les verres sous la lumière un peu pourpre des lampes sans abat-jour. Les anglais déjeunent, le métal solide du couvert et la mollesse jaune clair de l’œuf cuit se rencontrent, partent en bouche, glissent, heurtent la dent, plient la langue affamée à moins qu’elle ne se courbe elle-même, accueillante, heureuse du grain de sel découvert sous la mousse.

Sel de Guérande qui prend des couleurs parfois de ciel parisiens sous la pluie et des façades haussmanniennes.

Ciel de sel de Guérande qui salit un peu les façades haussmanniennes et qui les rend à vous rendre un peu triste à première vue. Au mieux vous pouvez vous dire : c’est une pierre noble qui a été creusée autrefois dans l’Oise ou quelque chose comme ça. Je crois.  Au pire : c’est trop monumental et ça manque crûment de couleurs qui varient. C’est du calcaire en tout cas, du calcaire de Lutèce qui au soleil reste encore un peu sombre. Comparez : calanques de Marseille. L’obéissance à la lumière, tout est là. C’est loin d’être une simple question de température, ou de luminosité ; à Paris, s’il fait souvent humide, l’hiver n’est pas pour autant à vous mordre de sa dent glacée comme un coup de vent méridional, et l’été vous brûle le visage pour peu que vous décidiez un petit tour au parc. Non. C’est une question bête d’albédo. Tout est réglé. Mon petit-déjeuner aussi.

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