Croquis Nizza

Port de Nice (Nizza) avec ses bateaux de plaisance. Vue partielle de la Colline du Château.

Nice. Les volets aussi ici ont des cils et des paupières. Mais avant l’œil ce matin c’est le nez qui joue à l’animal, glissé dans le couloir pas si imaginaire que ça des femmes parfumées qu’il traverse, alors que la rue CASSINI qui donne en plein sur le jour lui cache les passants et qu’il cherche à la frontière entre le souvenir historique d’un Nice roi et le sien propre d’une Italie toute récente une boulangerie pour un café comme ils savent faire du côté de Vintimille.

C’est la Place ÎLE DE BEAUTÉ et ses arcades blanches, les travaux, la matière première et tendre du ciment qui tourne dans sa benne, la grue, avec dessus ces mots de société qui disent : Numéro 1 du levage. Juste derrière les barrières blanches, le port qui porte un nom, avec ces vaisseaux trop tu-me-vois à mon goût alors que mon envie voudrait être là, avec ce type que je vois comme si je le voyais sur son balcon qui s’apprête à prendre son petit-déjeuner, presque en robe de chambre, sur le gaillard arrière.

Je sens que l’Italie va me servir de Kant.

Mer parfaite et digne du plus beau bleu d’Égypte. Promenade. Vendeurs de sapins que la température de printemps frais rend idiots sous leurs chapeaux noirs. Je me souvenais du monument aux morts debout et blanc contre la colline ; je me souviens des avions de Cagnes avec cette baie monumentale qui leur sert de tremplin, le flanc et la hanche d’acier tordus à monter et tourner jusqu’à une trajectoire plus stable vers les nuages qui sont trop rares pour se croire en décembre.

Quai RAUBA CAPEU. Quelques coureurs, quelques marcheurs, presque moins nombreux que les avions qui défilent. Je marche, mais j’aurais préféré cette fois ne pas me souvenir de cette immense obédience à Twitter blanche bleue et rouge (#I Love NICE), gentille injure au paysage (même si son signe bleu ne saigne pas sur celui de la mer), au grand panorama – tiens des gens se baignent sans doute des gens âgés – il n’y a souvent que des gens d’âge pour jouer du maillot en hiver, ils sont là, dans l’eau parfaite, ils peuvent être fiers d’eux, eux, – aux anciens dont la baignade est plus sociale et efficace que ces clics et ces symboles derrière du verre qui ne devaient jamais en passer la frontière. Faut pas s’énerver. Une classe de petits bambins passe, appuyée en partie contre la balustrade.

Vue sur la Baie des Anges par la Promenade des Anglais.

L’accompagnateur en parka fait son boulot : « … Baie des anges. Tu vois (il joue avec son index sur l’horizon qui n’a pas de fin pour le petit qui l’écoute), tu vois, ça, ça s’appelle une baie. » Le reste se perd dans le bruit de leurs pas qui me dépassent déjà.

Café qui m’oblige à sortir une caillasse d’une autre espèce que je n’ai pas en nombre suffisant. Ici les prix sont de petites déclarations de guerre au portefeuille. Et l’Italie ? T’oublierais-je Italie, alors que les cours (corsi) m’attendent et les couleurs de mon cœur sur les murs entretenus, alors que la pancarte qui présente le menu dans la gargote d’à côté te fait injure, toi dont l’amour du manger te préserve de la course aux touristes, alors que je lis avec horreur sur la pancarte crème : FRENCH ONION (en rouge) SOUP (en noir) et en-dessous : NEW-YORK (en rouge encore) STEAK (en noir) ; rien qu’à lire ça je me sens rapetissé, méprisé, laissé pour étranger qui ne veut pas vraiment découvrir le pays qu’il traverse, laissé pour quelques gros sous à l’écart de la vie, coincé entre l’anglais mal fini des accents et une table pas nécessairement bien dressée, laissé pour rien alors que les ligures ont vécu aussi bien ici que là-bas, que je suis sans le savoir toujours dans le golfe de Gênes jusqu’à Giens, et qu’on me sert de la fausse façon française, ou même, puisque je veux à tout prix rester en pays très-connu, un steak américain. Non, Je ne t’oublie plus, ma tendresse italienne, toi qui vit, forte encore, toi qui sais l’art de vivre, toi qui t’enracines si profondément que l’écorce de tes murs vivants vient faire pousser ses feuilles jusqu’ici, et jusque dans ma tête, même en voyage ailleurs, jusqu’à Paris, jusqu’au calcaire du Sacré-Cœur. Et bien le gars a été sympa avec moi. Il a pris ce que je lui donnais sans exiger son reste. Le canon qui guerroie sait se montrer fleuri.

Place Garibaldi dans le Vieux-Nice. On reconnaît l'Italie à la couleur des façades et à la forme ingénieuse des volets escamotables.
Un morceau de la place GARIBALDI.

Vieux-Nice enfin. Je suis assis sur un plot de pierre de la Place GARIBALDI. Je m’unifie, moi aussi, en écoutant le clapotis des ailes ramières et le claquement de la fontaine quand l’eau qui s’élève par magie retrouve l’eau plate qui reflète, dans la mesure de la lumière, la couleur Fragonard des ocres en général. Les gens passent devant moi. Je n’entends plus le bruit de leurs chaussures. Je vois leurs lunettes noires, et la grimace qu’ils font sous la lumière ; j’écoute un bus faire tinter sa cloche électrique pour avertir le monde qui déambule ; si je pouvais, j’écouterais aussi les rayons du soleil sur mon cou. Motos lointaines. Fille vêtue de rougerose de la tête aux pieds ; marmot qui traîne les excroissances de ses petites jambes.

Vieux-Nice. Napoléon le voilà simplement général en bleu républicain : j’ai sa maison, si l’on peut dire, l’endroit où il a habité plutôt, avant de franchir lui aussi le Rubicon ; on est en 1794. Maintenant c’est une avocate et sa plaque noire au milieu (la maison est grande, très), un coiffeur – fermé, lundi oblige, comme d’habitude –, un ATELIER BONAPARTE pour la gauche et un Lucien Chausseur avec en bout de mur le restaurant NABULIO. Coupé en morceaux, le généralissime.

C’est la rue BAVASTRO. Des mots italiens que je retrouve près des bouches ; des airs, même, parfois, sur certains visages. La Maison Quirino qui fabrique des pâtes fraîches comme César fabriquait des palais pour le palais de la pensée ; le balcon, le volet-cil, les rues vides du lundi, un tout léger cafard qui cogne un peu mon petit cœur de volatile. Mais restez, quelle importance, puisque je m’assieds pour déjeuner enfin qu’il est presque deux heures, que j’ai l’œil sur l’église du port avec son campanile et ses vieux volets clos sur sa façade arrière depuis des années dirait-on, et que j’ai le nez collé à une olive que je ne verrai sans doute pas (c’était mon présent, le temps qu’une des serveuses m’apporte une feuille A4 avec le menu dessus, et qu’entre temps sa collègue revienne dans un bruit de vieille porte et qu’elle me lance : « Elle s’est occupée de vous ? » pressentant la scène qui venait de se produire, et qu’enfin l’autre débarque avec un papier un peu cartonné pour protéger la table de verre sombre de ma nourriture, un petit verre brun comme la lumière brune des billards d’Amérique dans les années 40, ou même à l’époque de la Prohibition), alors qu’un mec dressé dans la remorque de sa petite camionnette fourrage je ne sais quoi avec une barbe à la Metallica, et une fois fini son concert de bruits mates de métal qui cogne, il réenclenche ses gaz et en voiture Simone.

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