Comme autrefois

Le Jardin du Luxembourg a été créé au début du XVIIe siècle par Marie de Médicis. Le sénat qui administre et entretient ce Jardin est heureux de vous y accueillir.

Il leur suffit d’un petit coup de bâton pour aller jouer au centre du bassin. Le vent s’occupe d’eux pour la suite. Leur sillage découpe sans bruit le reflet des nuages et des arbres, là-bas, vers Saint-Sulpice dont on devine les deux tours sales au-dessus des marronniers. Le vent fait et défait la couleur sur la surface de l’eau, passe et repasse son pinceau, démonte les vagues, les reconstruit juste à côté, juste devant ou derrière, change de vert, rajoute un peu de bleu pour les taches d’azur rares entre les nuages. Et puis tout devient gris quand un nuage décide de ne plus partir au-dessus du bassin.

Tout près de moi j’ai le chariot. La fille est là, quittant sa chaise lorsqu’un parent s’approche avec sa fille ou son fils et qu’ils choisissent, quand il n’a pas déjà été pris par d’autres, le bateau avec sur les voiles les deux premières lettres de leur pays d’origine. Quelques mots simples en anglais, en français quand ils savent ou qu’ils sont. « Bonjour ! On va vous en prendre un. On peut choisir ? – Bien sûr ! » Celui qui a parlé se tourne vers le petit. Il change sa langue. « Which one you want ? Choose nicely ! » Le temps qu’ils ont, une quarantaine de minutes je crois. Elle tend un bâton au bambin qui fait comme il peut pour changer sa grimace en sourire au-dessus d’un sable plus sûr que le soleil. Papa ou maman se retrouve avec le bateau entre les bras après un billet glissé dans la main de la loueuse. Un autre petit revient bientôt, et rend son bâton en racontant dans un accent que je rêverais d’avoir les poissons qu’il a vus. La loueuse l’écoute en remuant légèrement les lunettes de soleil, les mains concentrées sur l’emplacement prévu pour la quille grise et la coque rouge, la bouche qui ne pense même pas à changer son sourire, les lèvres jolies de l’écouter raconter son plaisir, exactement comme la maman qui suit la scène, debout et grande, derrière.

Les gros ramiers jouent aux caravelles qui vacillent du flanc sur la mer de fleurs roses du parterre, remuant la caillasse pour pêcher quelques vers, tandis que les filles se recoiffent ou déjeunent puisque c’est encore l’heure, la boîte de plastique entre les jambes, le couvert à la main, le dos penché pour éviter la chute mortelle et le gras sur la jupe ou le jeans. Les gens vont et viennent, pressés, le bruit du sable qu’ils connaissent déjà sous leurs pas, l’esprit qui court, l’œil vidé par une pensée trop lourde et qui ne voit plus ce que les touristes rêvent de voir depuis leur arrivée à Paris et rêvent de prendre en photo et se pressent, quand on la prend pour eux, de récupérer leur téléphone pour voir le résultat, le sac, le gros manteau négligemment posés en tapon sur la balustrade humide encore et qu’on verra sur le cliché, les rires des ados entre les marronniers, les géraniums qui se taisent, si roses que ça leur donne un air de vache à fleur dans leur pot de pierre grise. Un employé tond les pâquerettes de la pelouse. Il suit un tracé centenaire et l’herbe devient une œuvre d’art qu’on apprécie encore mieux quand on prend un peu de hauteur. Il y a aussi les gens qui dorment bercés d’autant plus que le monde s’agite et crie autour d’eux, les pieds des plus jeunes qui freinent sur le gravier, les deux filles enlacées, bronzées, riantes, la dent nacre, la vie devant soi et l’œil qui tient à s’informer en permanence des gens qui passent près d’elles tout autant que de leur compte Insta qui défile et qui change, pendant que le jardinier en short vert sombre (ils ont tous le même) découpe au gros ciseau l’herbe qui borde un vieux piédestal couvert de lichen sale un peu jaune parce qu’il sait très bien que son collègue ne pourra pas passer par là avec sa machine. Quinze heures à la cloche.

Quinze heures. Je longe la PELOUSE AUTORISÉE. Le bac est fini ou presque. Ils ont pensé parfois à la nappe, pour s’assoir, ils sont en groupe, parfois seuls, sur le ventre dans une position qui fait mal au dos à force de leur écran toujours devant leurs yeux, ou alors ils sont plus jeunes, tapant un ballon lentement, assis sur leur skate pour éviter le gras de l’herbe, allongés sur le dos sans craindre ni les fourmis ni les taches ni la terre jamais sèche. Autour de plots rouges ou bleus installés par leur prof, une classe fait de l’endurance, le cheveu qui ne gênera plus les yeux jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent enfin, sous les acclamations et les encouragements des camarades qui les applaudissent, la joue rouge et puis tout le visage, le genou qui souffre à cause du pied qui tape trop fort le sable.

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