Bisceglie. La mer s’ennuie sous un soleil que personne ne surveille. Nous : on bronze. On est là pour ça. On regarde son corps pendant des heures. On vérifie les muscles, à moitié redressé sur la serviette. On s’interdit de penser à autre chose. D’avoir des pensées trop longues, des souvenirs qui nous emmènent trop loin d’ici. Le corps ne doit jamais se relâcher. La courbure gastrique. Les épaules bien en arrière. On regarde ses seins. On regarde ceux des autres. Les autres. On se regarde. On ose pas aller dans l’eau après la cuisse. C’est trop froid, et puis on ne veut pas tremper ses cheveux. Alors on reste alignées avec les copines, sans jamais faillir, à se raconter des petites choses. Les hommes sont debout, un peu plus loin, dans leurs jolis caleçons de bain qui les font ressembler à des fleurs fragiles malgré les lunettes un peu crânes, les rires et les voix fortes, fleurs de roche dans l’air frais qui se lève. Le ciel ne bouge pas. Rien à changé depuis ce matin que je suis là, à l’ombre zébrée des planches coincées symétriquement contre l’azur, à écouter l’accent d’ici, qui donne l’impression que les mots se sont endormis dans du coton comme un oisillon, entre la gorge et le palais avant de s’échapper, enfin, vers le voisin qui rit et qui répond pareil.
Les gens ont déjeuné à un moment, pour un peu d’ombre et de musique pop, pour un café au fond d’un minuscule gobelet épais et blanc pour les doigts, pour une bière qui s’est mise à briller de fraîcheur.
Retour à la roche. Roi de la serviette. Un peu fier de soi, mais pas vulgaire pour autant. On reconnaît le voisin ou la voisine qui vient d’arriver, et le phénomène ne fait que s’amplifier à mesure que le monde se fait nombre davantage. Bisceglie est suffisamment petit pour donner l’impression que les habitants se sont donnés le mot pour se retrouver le long du littoral blanc, sur les rochers blancs ou noirs dessinés comme les cases d’un échiquier au bord de la mer qui joue avec des bulles d’huile solaire, grasses et molles, tout âge confondu, les plus âgés plus noirs encore que les jeunes.
Parasols et bambins. Tatouages chauves. Petit slip interdit. Moustache que l’été finit par éclaircir. Avril-octobre. Rien que ça. Canne de temps en temps. Soucis de velours. Le soleil ne meurt jamais et la fumée s’efface au fond du ciel. L’œil à l’horizon, la main caresse le ventre, main sur la hanche. Une jambe tendue, l’autre laissée. Deux doigts pour se tirer l’entre-jambe d’embarras. Surveillant autant le tissu intrusif que la peau. La tache tire son alarme rouge. On bouge. On change.
On craque parfois. On file dans l’eau, le cheveu tentacule pour un temps qui se sale autant qu’il s’épaissit. Tant pis. Elle pince son joli nez sous le soleil en riant, et disparaît sous l’eau pas tout à fait transparente. Elle revient s’assoir, et l’étiquette en a profité pour se glisser dehors sans qu’elle le sache. La paillote est équipée d’un babyfoot. Les rires claquent, un peu décalés par rapport aux figurines bleues et rouges. Ou alors, tous regroupés copains autour de tables qu’on a rapprochées, on joue aux cartes au milieu des canettes qui se renversent parfois quand elles deviennent trop vides. On se lisse les cheveux en permanence. La copine nous recoiffe. On regarde ses tongues plier sur le rocher, on remue un peu les pieds d’ennui, le téléphone à la main, ou les doigts fiers qui jouent à faire tourner ses clefs de voiture.