
Nice. 24 décembre. Il y a un vigile l’air gentil devant un chocolatier rue BARLAT. Les gens font la queue pour Noël, sans doute. Il fait doux. Je retrouve par hasard des rues où j’avais écrit, moins sûr des endroits où j’avais grignoté. Les tables ont déserté les trottoirs, comme partout. Le port. Là, je me souviens sans peine. Il y avait une immense grue ocre qui vantait sa force, c’était écrit sur son bras aux muscles raides. Il y avait des travaux partout ; et maintenant je vois un tram au bord de l’eau, qui clame son premier anniversaire à qui veut bien lire sur ses vitres. LES LIGNES 2 ET 3 FÊTENT LEUR PREMIER ANNIVERSAIRE. Ou bien : DÉJÀ 1 AN QUE NOUS VOYAGEONS ENSEMBLE.

J’ai fini par trouver un café. Je longe le côté gauche du port, celui qui regarde la Colline du Château, là où paraît-il on a trouvé des restes d’une activité humaine plusieurs fois millénaire. D’ici, c’est un gros rocher de calcaire sur lequel vacillent des arbres immobiles, qui semblent couler comme une fontaine ; on dirait une peinture romantique ; en dessous, une large maison peinte à l’italienne, ce qui n’arrange rien, et tout cela vient se briser en silence sur le confort caché des yatchs qui se dandinent et qui doivent détester cette mer qui chuchote à jamais, protégée par la digue. Aujourd’hui les gens courent pour le cœur le long de la rade. Il y a aussi cet italien, le visage sur lequel le temps et le souci ont dessiné de beaux reliefs. Seule l’eau des yeux n’a pas bougé. Elle est plus vive et plus claire que celle du port, pourtant. Je me concentre. Les deux oreilles. La droite. Rien n’y fait. C’est un gars du sud de l’Italie qui promène son chien, c’est tout ce que je peux dire. Je continue.

Paradoxalement, même si je me rapproche tout doucement de l’Italie, me voici maintenant tout au milieu de cette côte toujours trop jeune, au milieu des immeubles mal inventés, pour un peu d’argent supplémentaire, avec leurs bâches bleues pour un soleil trop fort l’été ; mais peu importe : une femme s’apprête à se baigner ; c’était mon rêve aussi, mais je crois ne pas avoir oublié mon maillot à Paris par hasard. Ça y est, le temps de quelques mots elle est dans l’eau, et les gens la regardent et s’arrêtent du haut du parapet. Son mari sans doute : plus difficile, le pied tout nu sur les galets, il avance, recule, trébuche, se retrouve tout le corps dans l’eau, petit slip noir, brrrrr, tandis que la femme regagne la plage avec peine ; lui il a déjà la serviette dans les mains, se la passe sur les bras couleur crevette prête à être servie, ébouillantée autant qu’il doit être glacé ; il a regagné ses vêtements. Mais elle n’a pas l’air d’être sa femme, plus copine avec d’autres gens sur la plage, ou non, même pas ; elle se dirige vers une douche que je ne peux voir qu’en me penchant.
Ne suis-je pas heureux sous le soleil tiède de Noël, sans masque le temps d’une cigarette, à écouter les vagues claires s’écraser sur la roche, à regarder, fier d’eux, d’autres gens se battre avec le ressac glacé, et la colline verte déjà ligure où sont assises quelques villas aux airs de château fort moyenâgeux ? Ne suis-je pas heureux pour ce gabian qui surveille la surface alevine gorgée d’air et de bulles, les pattes collées sur un rocher assombri par le travail millénaire de la mer ? Et les avions couchés dans l’air, pareils à des mouettes, le train déjà descendu pour se poser, là-bas, entre Nice et Cagnes, et toute la côte habitée, rose à force d’être construite, et les nuages qui s’étirent comme de grands doigts blancs dans l’air invisible de décembre ? Ne suis-je pas heureux, pour ce petit escalier taillé dans le calcaire, et ce petit jardin, et ces pins maritimes que j’aime tant (voyez, vous qui courez ou qui flânez, celui qui ouvre le BOULEVARD Franck PILATTE, à côté de la petite cahute qui vend des panini), pour ce petit square Félix RAINAUD, pour tous ces gens, « On descend ici ? C’est le début du sentier ? » demande-t-elle à son gamin, et pour ceux-là, dont l’un explique à l’autre comment respirer en courant, un petit sac collé contre son dos, pour ces fillles qui s’étirent sur une dalle artificielle au-dessus de la mer, sans crainte des badauds, les fesses serrées pour l’effort et le froid, et le chant de la mer qui m’a tant manqué, même si je n’ai pu visiter les thermes de Cimiez, et toucher la pierre d’autrefois, et détailler les murs encore debout avec leurs rares rangées de briques si jolies ?
Il est midi. Une déflagration fait trembler toute la ville, et rend joyeux un garçon. « Un coup de canon ! Papa, le canon ! » Le père doit être heureux aussi, en secret, tandis qu’il surveille pour son fiston de loin les crottes de chien. Retour dans le vieux Nice ; la rue LASCARIS, qui rappelle ce palais que j’ai pas pu voir non plus, dans cette rue si étroite qu’on peut à peine en admirer la façade maniérée ; et je viens me perdre, au hasard des couleurs méridionales, à l’ombre des boutiques pour les touristes, les enceintes qui débitent depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines, des chants de circonstance revisités par un Tino Rossi contemporain, et puis, un peu plus loin, le long de la Promenade, les flâneurs, les skateurs, et tous les autres, ceux qui lisent assis au soleil leurs mots qui vont se perdre dans le roulis des galets couleur de pluie, face aux façades blanches des hôtels à moitié vides.
Plaisir rare que celui offert par vos textes, si finement écrits : la saveur de découvrir le monde autre et pourtant familier, et celui de cette tonalité sensible et distanciée à la fois, qui colore vos lignes sans imposer de représentation définie au lecteur. On peut ainsi prendre place à vos côtés, et dessiner le croquis de concert 🙂
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Merci beaucoup Esther pour votre message ! Le plaisir est tout à fait partagé : je vous lis depuis quelques années, et j’aime ce que vous nous dites de votre monde, de ce que vous vivez au-dedans, et la façon que vous avez de l’écrire ! Je vous souhaite un beau début d’année, et j’espère qu’on pourra un jour vivre à nouveau les uns avec les autres !
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Merci Emmanuel, je suis à mon tour touchée de votre message 🙂 Belle année à vous aussi, en attendant de pouvoir vivre les uns avec les autres à nouveau, le lien se maintient par l’écrit !
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