Pour un vers de Virgile

« (…) le beau-père descendant des contreforts alpins et de la citadelle

De Monaco, le gendre armé des peuples d’Orient face à lui ! »

(Enéide, VI, 830)

J’ai hésité à partir pour Castellar. Je me suis laissé effrayer, sans trop m’inquiéter pour la suite, par les horaires dominicaux et forcément un peu lâches du bus. Alors je suis resté à Monaco, m’étant toujours promis d’aller jeter un petit coup d’œil au Rocher depuis quelques années, à cause d’un vers de Virgile. Celui-ci met en scène le beau-père et le gendre, César contemplant la mer qui devait être exactement la même qu’aujourd’hui, bleue selon les caprices et les couleurs que veulent bien lui donner les rayons encore chauds du soleil de décembre et l’ombre naturelle de sa profondeur, quoiqu’un peu plus effrayante, alors qu’il la domine, après avoir dominé les Gaules, prêt à s’élancer à la poursuite de Pompée, déjà parti chercher des renforts sur les îles lointaines de la Grèce. J’aurais voulu savoir pourquoi le poète parle de Monaco à ce moment-là, et si ce n’est pas lié au Trophée des Alpes, là-haut, à la Turbie, un peu derrière la Tête de Chien. Si la position aussi précise de César, à cet endroit où finit la Gaule pacifiée et où commence l’Italie, n’est tout simplement pas qu’un choix réfléchi de propagande augustéenne, même si d’ici, le Trophée est invisible pour l’instant.

C’est sans importance. Il fait beau, très doux, je suis là, c’est dimanche et je ne croise presque personne que quelques promeneurs masqués au milieu du jardin entretenu et propre. Je me suis promis de lire les panneaux qui rappellent le nom de chaque plante, de jeter un œil régulier à la mer si calme et si belle dans la lumière du matin, de flâner sur ces trottoirs sans mégots et sans crasse, d’avoir l’œil attentif, d’espérer mon manteau et mon écharpe inutiles quand viendront les heures méridiennes, et que je me retrouverai dans ce périmètre dicté par le calcaire où la richesse a fini par s’assoir avec les hommes qui se bâtissent des royaumes. C’est un petit Oreopanax à feuilles de nénuphar, avec ses jolies couleurs d’automne, qui pousse ici sans craindre le froid d’Europe ; plus loin, un Echinocactus, aussi justement appelé coussin de belle-mère,venu du Mexique ; un petit Yucca gloriosa qui frétille fraîchement dans le vent qui s’est levé ; un cactus du Pérou, le Cylindropuntia, avec une tête qui respecte bien son genre et qui frise le classique ; d’autres, d’une autre espèce sans doute, qui doivent bien atteindre trois mètres, et dont les extrémités feuillues se divisent en quatre, perpendiculaires comme des points cardinaux, qui viennent de Bolivie – des Cleistocactus si je ne me trompe pas ; pour finir, des Euphorbia trigona importés d’Inde.

Des Cleistocactus de Bolivie au second plan, avec leurs extrémités si particulières.

Je suis sorti du jardin. Sur la PIACA D’U PALACI, des soldats paradent sous le soleil et les smartphones, le pas bien cadencé, les ordres clairs, la main gantée d’imaculé derrière le dos, la paume tournée vers nous quand vient le « Repos ! » de celui qui commande. « Arme ? Portée ! Arme ? Reposée ! » Etc. Pantalons bleus avec un liseré rouge, la veste noire, ceinture et guêtres blanches ; tambours et trompettes dans l’arrière-plan des cloches qui dissonent. Et puis les soldats rentrent, et les gens s’en vont d’ombre et de froid. J’espérais voir le Prince mais personne n’est sorti saluer la foule. Je regarde de temps en temps en l’air, vers les collines, mais je ne retrouve que la pointe arrondie de l’observatoire, et nulle part celle du Trophée.

Le port de Fontvieille, avec au fond la Tête de Chien.

Je poursuis un peu au hasard d’une rue, surpris de tous ces logos Ferrari qui débordent des boutiques de souvenirs, de toutes ces façades sans une égratignure, peintes comme de jolies maquettes construites avec une minutie de passionné, cherchant le soleil avec leurs couleurs franches et chaudes, avec parfois quelques portes ouvragées et anciennes. J’achète une foccacia et un cookie parce que c’est l’heure, j’écoute les italiens déambuler et quelques voix françaises ; je suis retourné sous le soleil devant le palais, et un gabian grincheux et aussi propre que le reste me regarde avec son œil cerné et liseré comme le soldat d’un fil de corail orangé, un peu vilain, donnant de la gorge doucement mais fermement pour me rappeler ce que je dois faire, ce qui me pousse à lui répondre un peu d’égal à égal, en grognant comme lui, alors que ma foccacia diminue dangereusement sous son regard figé, que la graisse me complique l’usage des doigts, qu’il tourne un peu en rond, un peu furieux, avec ses pattes comme du caoutchouc à l’aise sur toutes les surfaces. Sur la place, les enfants se précipitent sur les canons, excités par les vieux boulets figés et entassés sur le macadam lisse ; ils s’agripent aux tubes, se mettent en scène le cri plein de rire avec le petit ou le grand frère, mettent les mains partout, sans doute surpris par la fraîcheur du bronze. Ça y est, je pourrais retirer mon manteau. Un soldat s’approche, reprend les parents d’un enfant à califourchon ; la mère saisit le téméraire, toute en excuses.

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