Café. Les gens. J’écoute. Dans un silence qui ne cliquette que pour moi. Je vois. Je souris en pensée à toutes ces solitudes qui disparaissent, jetées au fond des tasses et des verres, toujours prêtes à s’évaporer dès qu’elles le peuvent au cœur des voix, au milieu des fumées qui volutent. Je vois les visages. Débuts ou fins de quelque chose, Augustes au milieu de l’empire des corps, sources et embouchures de ces fleuves qui portent leurs voix légères ou lourdes, je les regarde comme ces grandes cartes au-dessus de ces tables quand on prépare un grand voyage. Elle, le menton et la lèvre qui jouent avec sa bouteille, comme quand on s’ennuie et qu’on devient machinal avec ses doigts ; lui qui s’apprête à fumer, alors qu’il demande à la serveuse un cendrier le paquet noir sur la table propre, des briquets alignés par la même machination que celle de sa voisine. Elle écoute un instant son nez lui raconter une courte histoire, le visage courbé dans la vapeur qui déguerpit de sa tasse selon le courant d’air. Dehors, le vent fait pâlir le soleil de l’après-midi et vient secouer les vitres comme si elles suivaient un cap connu d’elles seules au milieu de vagues loin de la mer. Derrière j’admire sans pouvoir le voir un homme parler un français qui n’est pas sien avec lenteur et application, et son voisin lui répondre avec la même lenteur ; devant, la serveuse équilibrée, le plateau dans sa main forte, chiffon dans l’autre pour la surface des tables qui doivent rester aussi lisses qu’une mer sans vent.