Milan. PIAZZA SAN SEPOLCRO. Je reste silence et sourire au milieu de la place. Tout autour, où qu’aille le regard, les couleurs s’embrassent doucement. La façade d’argile couleur de sang qui dort depuis longtemps vient s’appuyer contre le ciel dans un mélange que j’ai souvent aimé. Les chiffres blancs sur fond bleu de l’horloge qui poursuit une heure qui n’est plus la nôtre sur l’un des campaniles.
Je me souviens. Dans les entrailles de l’église survit un morceau des antiques voies romaines, au point précis où les deux axes principaux de la ville se rencontraient et qui servait de repère pour le forum. Si j’y vais, je serai sûr de marcher là où quelques grands noms sont passés autrefois. Je sais ce que ça fait d’être petit, ce que ça fait d’être nain à savoir, même confusément, qu’ils ont été grands et qu’ils le sont toujours.
Les énormes dalles sont encore là ; ce sont elles, ce sont les mêmes ; horloges, encore plus que celle de la façade : les voici. Leurs minutes de pierre sont des siècles et forcent le pas au silence et au calme. Et nos pieds faits pour eux se reposent enfin. Ça vaut la lune où les Américains ont dû bondir à bon droit de fierté.
Je retourne au dehors. Quelques rues plus loin, une fille enterre sa vie célibataire et me fait sursauter ; ses copines sont toutes autour de moi soudain et me regardent en souriant. Malheureusement je comprends parfaitement ce qu’elles me sourient en disant. Je suis le ragazzo qu’il leur faut. Elles ont toutes des yeux plus grands que la VIA TORINO où nous sommes, plus grands et plus brillants encore que les grandes vitrines illuminées derrière nous ; je dois arrêter d’écrire, lâcher un instant ma cervelle et ce dehors qui se laisse aimer sans autre bruit que celui des voix, de vos pas et des trams ; sans rien me demander qu’un peu d’amour, qu’une simple contemplation qui ne me coûte que le froid oublié de deux pouces au travail depuis quelques années maintenant.
Je la regarde. Je la sens jolie derrière le maquillage ; Dieu sait ce qu’elle a déjà dû accomplir depuis qu’elle est dehors avec son diadème et son voile et sa jolie robe blanche de circonstance. Je dois cesser d’écrire et chanter avec elle. Dans sa main, un petit mégaphone qui m’effraie plus que son sourire d’entre-copines-à-kiffer. Trop timide et trop lâche, je suis soudain ce Français qui s’excuse de l’être avec un accent et des phrases trop justes. Elles regrettent, moins que moi par la suite, et trouvent trop rapidement à mon goût cet élu qui chantera de bon cœur quelques phrases classiques d’un Ti amo avec lequel j’aurais pu me débrouiller finalement. Mais elles étaient encore si proches que j’ai pu retourner à mes admirations, rire aux épreuves auxquelles la demoiselle devait s’astreindre, et ne guère trop me regretter.
Et me voici heureux au milieu de la ville.