les indices qui trahissent le bonheur

Le bus est bondé. Je lève les yeux de temps en temps sur les gens qui m’entourent.  Comme je peux à écrire, comme je peux le dos contre la vitre, les mains presque appuyées contre le sac de ma voisine qui me tourne le dos, j’amasse les indices qui trahissent le bonheur qu’on a tous d’être là, même si près les uns des autres. Je les retrouve dans les regards, dans le calme des voix et dans les politesses. Je vois cette joie particulière quand dimanche se mélange au soleil, quand on redécouvre après la semaine dure qu’on peut aussi s’offrir un jour ou qu’il nous est littéralement offert, comme tous les autres.

Pastré. Ou Montredon, comme vous voulez. Les toilettes qu’on voit de l’extérieur et le mur d’enceinte un peu sale ne présagent rien de ce qui vous attend. La pancarte verte sera plus claire. « PARC MONTREDON »  (le nom est surligné, je me demande un peu pourquoi). La pancarte continue plus bas : « Campagne Pastré ». Et en-dessous : « Service des Espaces verts et de la Nature ». Et puis, pour ceux qui ne le savent pas encore, une autre pancarte, qu’il faut lire davantage avec le cœur qu’avec les yeux, où sont écrits en majuscule de circonstance ces mots superbes : « PORTE DU MASSIF DES CALANQUES ». Je médite et savoure, près du portail ouvert, la double fonction, parc et porte à la fois.

Je rentre. Je me souviens. Je n’ai pas peur de mon principe qui m’interdit de revenir sur mes pas. La route qui file presque tout droit vers le soleil. Les pins. Les sourires qui prennent parfois le dessus sur la grimace des coureurs. Les blagues quand on court à plusieurs, le paysage qu’on voit rebondir à mesure de nos pas ; l’odeur qui monte du bitume ou qui descend des arbres, quand on prend le temps malgré le corps qui peine. « Tu n’as pas une petite histoire, Camille ? tu n’as pas une petite histoire à nous raconter ? » Camille refuse en souriant, au nom du souffle. Peu importe, ils sont copains, ils continuent, contents, descendant et remontant la route sur de petites distances, comme des pendules courageux. Je laisse le château à ma droite.

Elles sont toujours là, fidèles et un peu blues sous le soleil. On les voit de si loin, malgré les arbres et le secret de leurs aiguilles. Je viens vers elles, comme aspiré ; j’en oublie presque l’entourage qui change sans changer – la mamie qui tance son chien qui a eu la mauvaise idée de venir patauger (« Oh le saligaud ! Le saligaud ! ») dans le Canal de Marseille et qui gémit de froid ou de peur de ne pouvoir remonter la paroi de béton ; celle-ci avec ses bâtons de marche qui s’esclaffe à sa propre blague, derrière un couple qui sourit ; le soleil qui brûle déjà – malgré le 19 février – et qui me pousse à l’ombre pour écrire ; la fille que je ne vois pas encore et qui me demande d’excuser sa chienne qui me renifle doucement le pantalon ; le canal lui-même qu’on croirait immobile si on ne prenait pas le temps d’attendre qu’une feuille passe à la surface de l’eau claire, l’adolescent qui fait le pont en marchant, une jambe de chaque côté de l’eau en chantant pour provoquer un peu sa mère ;  un homme et une femme qui parlent des chiens qu’ils ont perdus ou retrouvés au cours de ces dernières années.

J’ai passé la porte. Je le sais, je le sens, les arbres que le vent fait à peine bavarder sont partout désormais ; les plantes, le vert qui se décline et qui déborde de tous côtés, mou ou dur selon la nature de la feuille, frêle ou silencieux selon que le vent se lève pour mieux tomber, sombre et bouteille pour le chêne qui pique à l’effleurer du mollet, partout, et partout les couleurs se font aussi plus fortes, plus franches, de la terre brune et lourde quand on la voit parmi les pierres brisées jusqu’au ciel impeccable et d’un bleu qui nous aime ; le printemps, l’hiver, ici très peu de différence si ce n’est l’absence ou presque d’insectes autour de nous.

Je suis dedans, assis maintenant sur une pierre, certain d’ailleurs de m’y être déjà assis il y a trois ou quatre ans. D’ici j’aperçois un minuscule bout du chemin. Je vois les marcheurs, qui disparaissent bien plus vite que leurs voix et le bruit de leurs pas. Je suis quelques mots, j’écoute leur vie comme on écoute le vent, savourant du corps et de l’esprit ma décision d’avoir enfin retiré mon manteau et mon pull et de voir mes bras nus ailleurs que dans ma douche. Je retrouve mes euphorbes que j’avais cru d’ici, je retrouve ces feuilles d’un vert un peu médical, molles, riches quand on les touche et qui me font croire qu’elles suent sous le soleil qui est déjà passé du côté de l’été – c’est fini, c’est bel et bien fini, nous ne serons plus en hiver sauf le matin tôt et le soir un peu tard, c’est fini, la terre se réveille déjà, les pierres crient sous mes pieds et la colline se gonfle et se charge déjà de quelque chose que je ne vois pas encore comme une poitrine amoureuse qui suit une émotion ; je vois au loin quelques papillons de temps en temps comme de grands grains de beauté silencieux, sombres ou clairs, et les mouches seront peut-être les premières à sortir d’ici dimanche prochain ; elles virevolteront déjà comme des fleurs et viendront se poser sur nos vêtements et nos bras j’en suis sûr.

Je lève parfois les yeux vers le massif, grimaçant de soleil, et je me demande si le ciel insolent ne se reflète pas tout simplement sur le calcaire, là-bas, derrière les pins sages, et ne vient pas teindre de bleu le blanc superbe de la colline.

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