A l’ombre du Mont Rose

C’est reparti.

Le journal du coin oublié sur un coin de la table. Il m’a suffi d’un bonjour, d’un café, d’une main, d’une chaise. Derrière moi j’ai le grand mur ensoleillé de l’usine scandaleuse. Devant, l’horizon simple. Quelques bleus qui jouent entre eux, avec ce trait que la mer a du mal à épaissir davantage qui sépare l’eau de l’air. C’est presque tout. Quelques toits rouges et roses, quelques blancheurs de crépis clairs. Un câble noir dessine un sourire juste en dessous du ciel, dont la nonchalance vient adoucir la sécheresse paradoxale de l’ensemble. C’est l’extrême limite du quartier de la Madrague. Le bar porte un nom que je ne retiens pas encore.

Je m’amuse à glisser du regard la lune entre deux câbles.

Il y a eu un enterrement à l’église. Il reste quelques personnes dans le petit jardin à l’ombre du Mont Rose. Les bus arrivent et partent. Quelques randonneurs. « Madame, vous le vendez ? Je vous l’achète ! J’ai quelques clients chinois ce soir au restaurant ! » La femme, qui tient en laisse son jeune husky, refuse. Son nez grimaçant a brillé un instant au soleil.

Les gens s’embrassent sur le trottoir, appuyés contre le mur blanc et gris qui fait l’angle de la place. « Ça va Jean-Paul ! » C’est drôle comme le plaisir de voir quelqu’un transforme une politesse en une exclamation. Je retrouve quelques gars du bar. Ils saluent les attroupés comme des lézardes dessinées sur le mur de plus en plus nombreuses. Des casquettes qu’on a retirées pour la cérémonie et qu’on remet après le groupe. Des bises. Des mains tendues au-dessus du bitume. L’endroit perd de son intérêt maintenant que le soleil est descendu derrière le Mont. Et pourtant ils restent, pris maintenant par le filet de sympathie qui plane au-dessus d’eux.

J’ai laissé tout le monde pour la rue Audemar TIBIDO. Le soleil fait ses dernières géométries sur le sol vide de la route sombre. « On a eu des belles journées, hein, depuis quatre jours !… » Elle acquiesce. Je suis sûr qu’ils arrivent de la place et qu’ils étaient à la cérémonie. Ils rentrent chez eux, en suivant nonchalamment la pente qui vient buter contre les barrières blanches, avec derrière le crayon pâle de la mer. Je m’installe sur un banc face à la rade. Une voix déformée par le silence de l’eau jaillit du restaurant ; l’accent monte et descend, pour finir avalé par la surface de la mer qui clapote. Ils sont deux pour l’œil, un pour l’oreille, derrière la vitre noire. Et puis l’un s’en va, et le chef reste et s’en retourne. L’autre était juste allé chercher du pain. Il tient dans sa main le gros sac en papier beige, le casque encore sur la tête, comme un gros lampadaire éteint. Le chef pousse la vitre. Puis tout redevient calme et le soleil s’en va encore.

Je reprends ma marche. C’est la PLACE FLORENCE ARTHAUD (en dessous, écrit en plus petit) NAVIGATRICE. Une fille pêche, debout tout en noir avec des jolies baskets blanches et neuves sur les rochers bruns et dorés par le soleil que je retrouve. Elle a ses copains derrière elle, chacun à ses affaires, pliés en deux, le pas malhabile quand l’un d’entre eux s’avance vers le bleu, jusqu’à s’arrêter juste derrière elle, les mains plaquées contre ses côtes. Elle vacille et pousse un cri. Il s’éloigne un peu avec sa canne noire et ses chaussures moins blanches qu’elle. Ici le soleil met du temps à descendre. Je retrouve Notre Dame qui domine les tâches sales des arbres du Roucas. Plus loin sur la droite, le paysage s’élève dans le ciel, bien plus aride et simple, presque gris, avec la griffonnade plus claire du Garlaban qui règne. Marseille se dessine jusqu’aux îles à ma gauche. Sur ma droite les pavillons surveillent la mer de leurs volets fermés et rouillés comme des briques mangées par le vent et le sel invisibles. La mer ne s’arrête pas de parler, sans déranger personne, de ses dents qui rentrent et qui sortent, plus claires que l’ivoire. Un chien a posé ses deux pattes sur le muret d’une terrasse et gémit sûrement de ne pas pouvoir être avec les trois amis.

La lune se fait plus blanche.

C’est la RUE des ARAPEDES. Elle tourne le dos au petit port de tout à l’heure, laisse voir un peu de cette alliance d’ocre d’or et de bleu qui se retrouve sur cette partie de la côte, de la Madrague jusqu’à la Pointe Rouge, exception faite de cette zone où la ville a retiré les cabanons qui ont fait autrefois la célébrité du coin comme un mauvais dentiste ; alors la terre et la pierre brunes saignent et sortent de la palette.

Je longe maintenant le trottoir étroit et long. Dos contre l’usine, tout près du figuier encore gris. Il reste quelques morceaux d’affiches qui grelottent dans leur cadre rouillé. Le bus arrive. Je tends mon bras bleu et les branches s’écartent du verre sans se briser.

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