Paris. Confortable en terrasse. Comme autrefois. L’oreille savoure, au milieu des autres, tandis que l’œil écrit en même temps que mes pouces. Je hiérarchise. Il y a vous, que j’écoute, vos histoires. Votre fin de journée ensoleillée. Votre plaisir d’être ensemble. Vos bières, qui retrouvent leurs couleurs, alors que le soleil s’appuie encore un moment sur les cimes des marronniers qui pointillent le boulevard comme des montres saisonnières. Je perds le temps, à choisir mes mots, je n’écoute plus ce que vous dites. Je courbe bêtement la nuque vers le bitume. Alors que c’est vous que je voudrais. Pas les pointillés sales du sol. Vos rires. Votre joie. Vos coudes qui réchauffent la table couleur châtaigne, vos doigts sur le verre qui laissait tout à l’heure passer le soleil, et que je ne pouvais regarder sans penser au dessin que fait le beau temps sur la mer. Ce que vous dîtes, même par bribes. « Après ils sont arrivés vers Antibes, vers Cannes, après sa sœur… »
Ça bourdonne. C’est presque trop, maintenant c’est la Normandie, la main gauche s’agite et rythme, aussi calme que la bouche, tandis que la droite oublie sa fourchette et sa frite. A ma droite un barbu parle de Marseille. Je suis sa main de la même façon, du coin de l’œil, et sa voix fait mon miel. Château-Gombert, La Rose, il suit un chemin dans sa tête, et les autres le suivent, amusés, à découvrir la ville dans la transparence plus ou moins voilée de ses phrases. C’est au tour de sa voisine d’en face, le visage tendu par son histoire, son nez comme la proue qui suit le chemin de sa voix. Je n’entends pas assez pour décrire son voyage, je n’ai que ses yeux et ses mains, et le dos courbé de l’homme qui parlait de Marseille pour savoir qu’il écoute plus qu’il ne pense à son corps. C’est bon signe quand le dos se laisse et que le ventre s’épaissit. Quand les mains s’oublient sur les mentons ou sur les joues, de la mâchoire jusqu’à la tempe.
Je dois partir. Je vous retrouverai.