Le roucas entre pluie et soleil

J’ai pris le CHEMIN du ROUCAS BLANC. La carte du ciel, plus grise que bleue, vient adoucir la ville. La douceur sombre des nuages dicte sa règle jusqu’aux façades et jusqu’au sol, tirant vers elle chaque couleur, chaque singularité, chaque repli du relief disputé par la lumière ou l’ombre, tandis que quelques grosses gouttes font monter les odeurs patientes des trottoirs. J’ai laissé Notre-Dame à ma gauche et son imposant perchoir calcaire, pour m’abriter en écrivant un peu sous des branchages qui forment une arche végétale au commencement de la TRAVERSE du GENIE.

Marseille. J’avais le cœur immense en arrivant la nuit dernière à Saint-Charles, savourant les couleurs de son métro, riant en sentant ma mémoire sauter de souvenir en souvenir, tandis que maintenant je suis bien là dans le présent des grandes marches qui montent et qui descendent, l’oreille comme un chien qui fronce des sourcils à chaque son plus vif. Rien ne semble avoir changé, les travaux ne semblent jamais s’être arrêtés depuis toutes ces années. Je suis maintenant arrivé à ce croisement qui file d’un côté vers la Corniche, de l’autre vers Vauban et l’autre vers Saint Victor, même si je sais que les panneaux résument toujours un peu trop les axes d’une ville, et particulièrement ici, quand les rues et les avenues sont des bifurcations, des hésitations et des dédales soumis à la poussée millénaire des pierres qui ont toujours fait leur loi sur laquelle l’homme a planté sa maison. MONTEE du CANAL. MONTEE GILLOUX. La boulangerie. J’aurais dû dire aussi les platanes, avec leurs teintes de poussière, le vert de leurs feuilles endossant un peu le rôle de l’ombre et le jaune qui singe la lumière, la cagnotte du loto et son chiffre énorme, le bar tabac qui me rappelle que je me suis assis à ses tables un jour de rentrée, quand il suffisait aux parents d’amener leurs enfants à l’école et que tout était simple, sans complications virales, simplement quelques pleurs et quelques déchirements de cœur naturels, avant que le rythme scolaire ne reprenne justement ses droits ; je devrais dire maintenant les étudiants le nez penché vers leur écran ou la lèvre tournée vers la copine qui attendent le bus 55 ou 73, devant la poste, à l’arrêt du Terrail, l’église tout en ocre de pluie, son saint Antoine de facture un peu grossière tout là-haut qui contemple la colline d’en face, les bras tendus et les paumes vers la terre qu’il doit bénir comme la pluie ; d’ailleurs il pleut toujours à grosses gouttes avec beaucoup de vide entre elles, et je m’abrite juste en face de la TRAVERSE de la SERRE.

Les passants portent parfois leur parapluie, le regard vers le sol taché. C’est maintenant le début de l’IMPASSE De la CITERNE, avec en face les bâtiments d’une école supérieure et son pin que la nature a vêtu plus beau qu’un roi, avec ces couleurs si vives et presque minérales, comme s’il portait des vêtements de porphyre vert, et qui font paraître le platane un peu terne quand son écorce aux mille facettes ne resplendit pas les jours de pluie. Mais le soleil revient, passant à nouveau sa main sur les contours de la ville. Un homme nettoie la vitre de l’arrêt de bus – j’ai fait demi-tour –, le visage contracté jusqu’au nez quand ses bras qui tiennent le manche de sa serpillière sont tendus vers le haut de l’abri ; un 55 s’arrête, récupère les gens, et je vois un instant les usagers de la RTM assis au fond du bus, se mouchant ou la main expliquant quelque chose à la voisine que je ne peux pas entendre à travers la vitre. Un jeune homme passe, fredonnant la chanson qui sort de son téléphone. Les voitures sont plus nombreuses au carrefour tandis que la carotte du tabac clignote un peu inutilement ; c’est la RUE du TERRAIL, le parfum de l’automne un peu en avance sous des platanes, quelques feuilles qui ont déjà rejoint le bitume gris, le petit train bleu et blanc chéri et bien rempli pour un début de septembre, et le Bois Sacré là-bas avec Marie tout au fond portant l’Enfant, avec son herbe sèche et rase sous quelques conifères toujours impeccables quelle que soit la saison ; en bas on se sourit avec une mamie portant son cabas le temps de quelques marches, et puis le CHEMIN du ROUCAS BLANC que j’ai repris pour aller faire des courses pour le déjeuner me fait longer un instant la roche écrue toute en fissures qui affleure d’une gencive invisible et saine. Des volets ouverts ou fermés, des balcons dont on a damassé le fer un peu rouillé, le panneau déchiré de la RUE du CASTELLET, l’IMPASSE VAL EMERAUDE qui porte si bien son nom si je me souviens bien mais qu’il n’est plus temps de prendre maintenant ; je sais bien où je vais aller faire mes courses RUE TADDEI ; je croise en descendant des endroits où j’aurais peut-être dû laisser mon CV autrefois, des gens avec une poussette et des enfants, des petits traînant leur petit cartable à roulettes avec leur maman les guidant à travers la circulation simple et leur rappelant qu’il ne faut pas toucher les choses en pleine rue même quand elles sont à portée de main, l’ECOLE MATERNELLE et ELEMENTAIRE DU ROUCAS BLANC sous le soleil presque-midi avec un groupe de parents devant la sortie, « Coucou ma chérie ! », les cris des bambins qui ne sont pas encore sortis ou qui ne sortiront pas à l’heure du déjeuner, l’homme qui laisse son chien tout noir renifler l’herbe émeraude alors qu’il frétille dans son marcel blanc tout à sa musique les oreillettes blanches sans fil dans les oreilles, cigarette aux doigts, se dandinant dans la joie musicale, sifflant, heureux, l’œil laissant à son chien une totale liberté, le regard pour personne sinon le vent qui s’est levé un peu et qui nous fait beaucoup de bien.

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